Abdelkader Djelouat, l'invité franco-algérien

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On vivait ensemble 132 ans. Deux de mes oncles se sont battus en 1945, ici, contre l'Allemagne, en Moselle et à Strasbourg en Alsace. L'un était un an en prison. Il est parti en Bretagne, il s'est marié et il est mort là bas. L'autre était blessé à Toul, au bras, il s'est fait attrapé par les Allemands et à la fin de la guerre ils l'ont lâché. Dans ma famille, personne n'est venu en France pour travailler, j'étais le premier. Il n'y a pas le nom « Djelouat », ici en Moselle.

Un contexte historique particulier

De 1830 à 1962, l'Algérie est Française. Les mouvements de populations de l'Algérie vers la métropole française ont commencé au début du XXème siècle. Cependant, il est possible de parler « d'immigration algérienne » seulement à partir de 1962, lors de la proclamation de la République algérienne. Avant cette date, la population algérienne est française, bien que certaines différences subsistent entre les « Algériens français » et les « Algériens musulmans ».

Entre 1905 et 1954, plusieurs vagues migratoires sont observées. Avant son indépendance, certains ressortissants d'Algérie sont appelés à se rendre en métropole pour travailler (dans l'industrie, notamment) mais aussi en tant que soldats - lors de la Ière Guerre Mondiale plus particulièrement. L'intégration des « Algériens d'Algérie » en métropole n'est pas discutée : la France les accueille avec bienveillance étant donné le rôle qu'ils ont joué dans la reconstruction du pays et lors des Ière et IInde Guerres Mondiales.
En revanche, entre 1954 et 1962, on ne parle plus de « migrations » : lors du conflit opposant l'Etat français et les partisans de l'indépendance de l'Algérie, les migrations algériennes vers la France sont en réalité un rapatriement des réfugiés Français et des harkis (Algériens ayant servi la France lors de la Guerre d'Algérie). Cependant, les Algériens musulmans, lors de leur arrivée en métropole, doivent refaire le choix de la nationalité française, contrairement aux Algériens non musulmans qui reçoivent automatiquement la nationalité française.
Bien que l'Algérie ait obtenu son indépendance, le nombre d'immigrés venant en France augmente fortement à partir de 1962. La signature des accords d'Evian proclame l'indépendance de l'Algérie mais consacre également la libre circulation en France des Algériens, tous à la recherche d'un travail. En 1964, un accord est signé entre l'Algérie et la France afin de réguler l'immigration. Un nombre déterminé d'Algériens est alors autorisé à circuler en France à condition pour eux de trouver un emploi dans les neufs mois ; un titre de séjour de cinq ans est délivré aux personnes ayant trouvé un travail durant cette période.

Avec la perte de ses colonies, la France se focalise sur l'industrialisation et le marché commun ; elle trouve en ces immigrés une solution afin de parer à la pénurie de main d'oeuvre dans le secteur industriel.
Un problème se pose néanmoins : comment les Algériens s'étaient-ils adaptés ? En venant s'installer en France, ces immigrés devaient trouver un travail, afin de pouvoir s'y installer durablement, mais également un logement correct, ce qui revêtait plus de difficultés.
Le témoignage de M. Djelouat Abdelkader, habitant de Thionville, nous éclaire sur les conditions de travail et de vie en général qu'il a connu lors de son arrivée en France en 1967, à vingt ans.

D'autres témoignages sont à consulter sur notre site tels que Michel Loizeau, toute une vie à la Sollac, Luigi Carbonara, de l'Italie à la chaussée d'Océanie., Françoise Lambolez, l'amitié contre le temps qui passe.


L'intégration d'un français en France

On a donné un coup de main à la France pour travailler, mais c'est normal, on était avec la France, en Algérie, un peuple ensemble.

L'arrivée :

Je suis venu avec le diplôme de maçonnerie pour travailler. Dans ce temps là, on nous appelle les invités, pas les immigrés.
L'Algérie était à plat à la fin de la guerre, il n'y avait pas beaucoup de boulot. La France a tout pris. De Gaulle a dit « on fait venir les gens ici, en France, chez moi ». De Gaulle parle comme ça, « chez moi », « les algériens c'est mon peuple ».
J'ai appris un métier, un diplôme pour aller en France. À l'époque, la France n'était pas construite ; à Metz il n'y avait rien... les vieilles maisons... incroyables... encore les balles de 45 dans les murs. Ensuite, ça a été construit par les étrangers, bien construit. Metz était classée 2ème ville de France ! Dans le temps, c'était complètement... la saleté. Maintenant, Metz, comment qu'elle est...
Dans le temps, les Algériens entraient en France pour travailler, parce que là bas, il n'y avait rien. On est entré en contact avec nous pour le boulot. De Gaulle a fait un contrat seulement avec les gens diplômés. Il a ouvert la route. On est entré en liberté ici, mais seulement les Algériens... et les Italiens, mais seulement au moment de De Gaulle ; c'était les deux seuls pays qui avaient une liberté. Tous les autres, le patron lui même allaient chercher les travailleurs, dans les autres pays. Les Algériens et les Italiens étaient libres.


L'accueil :

Tu cherchais toi même du boulot, tu travaillais comme tu voulais ; il y en avait plein. D'abord tu cherchais le logement, mais dans le temps, il n'y avait pas de logement. Boumediène a construit avec la France, pour les travailleurs, les foyers. C'est l'Algérie qui a donnée un coup de main à la France pour construire ça pour les travailleurs, parce qu'il y avait pas de logements, il y avait la crise.
J'habitais rue Chambière à Metz, dans le temps, près de la CAF. C'était foutu, pas de douche, rien. Heureusement qu'il y avait des douches dans la ville, près de la gare. Je me souviens, dans la maison, il n'y avait rien. Après, en 68, j'étais là, la crise en France : les étudiants ont fait une manifestation. Il n'y avait rien qui bougeait. Après ça, ils ont commencé à faire du boulot pour les gens.


Le travail :

Dès 91, je suis parti chez Défi Inter. Pendant un an, j'ai pas travaillé à cause d'un accident au pouce, ensuite un an pour le genoux, à cause du foot. Dans le temps, il y en avait du travail, il n'y avait pas de chômage. Dans les années 80, le chômage a commencé... vers 86.
Il y avait du boulot. Il y en a qui voulait pas travailler, oui, mais si tu voulais, tu travaillais. Le patron te téléphonait pour travailler. Le matin, le patron lui même était au boulot, avec sa cravate, il disait bonjour à tout le monde. Maintenant, il n'y a pas de patron, on le voit pas. Dans le temps c'était des vrais patrons. On commençait à six heures, il était là lui, Monsieur Robin ! Ensuite seulement il allait au travail, il nous demandait si on était bien, travaillez doucement, attention aux accidents, il était bien lui, j'étais quinze ans avec lui. Les années sont passés maintenant, on les voit pas. Regarde les jeunes devant les immeubles, il n'y a plus de boulot. Dans le temps, les jeunes travaillaient, maintenant ils travaillent plus. J'étais dans une boite et les jeunes venaient en stage apprendre les métiers, certains étaient dessinateurs, d'autre dans la mécanique, la soudure, assembleurs de plans, tout ça. Maintenant, c'est normal qu'ils trainent les jeunes, il n'y a plus rien. Les patrons demandaient des jeunes du lycée Charlemagne ou Hélène Boucher, six ou sept, pour travailler et à la fin du mois, ils payaient, maintenant ils ne payent rien.


Une nouvelle législation du travail :

A mon arrivée, il n'y avait pas de contrat, j'étais embauché direct, pas de contrat. Jusqu'à ce que le patron fasse faillite, jusqu'à la retraite, jusqu'à ce que tu partes tout seul... J'ai travaillé pour 36 patrons !
Je partais tout seul moi, le boulot s'il ne m'intéresse pas, je pars. Beaucoup étaient sales... Chez Wendel j'étais assis sur une chaise, c'était tranquille et je suis parti, ça m'intéressait pas.
Vers 86, les patrons ont commencé à embaucher par contrat car ils avaient peur de ne pas trouver du boulot. Le patron voulait un contrat, parce qu'il avait peur de payer à la fin ; s'il n'y avait pas de contrat... jugements, un an de paye, etc. Le patron avait peur, donc les contrats étaient faits.


L'intégration sociale :

Ca fait 43 ans que je suis à Thionville, j'ai des amis policiers, par exemple : j'allais au commissariat quelques heures les voir, on jouait au foot, ensemble. J'ai pas de problème de racisme, ça m'intéresse pas. Si t'es raciste ou pas, ça m'est égal, les gens sont tous pareils, les Espagnols, les Italiens, les Portugais, les Allemands, etc. Jamais eu de problèmes. J'étais 6 ans à Metzervisse, j'avais des amis français, on mangeait ensemble, on sortait ensemble, on jouait au foot ensemble, etc. Au travail, je ne le vois pas, mais oui, certains font une différence. Mais quand je travaillais, les patrons nous aimaient bien, on connait la France, on est né en France. J'suis resté 5 ans en Algérie, de 62 à 67 puis j'ai eu mon diplôme et je suis venu. Je connais pas bien l'Algérie, la France je connais bien ; là bas en Algérie, je connaissais pas, j'ai pas travaillé en Algérie, sauf quand j'ai fait le stage pour mon diplôme. Je jouais au foot en Algérie, j'ai travaillé trois mois. Ensuite je suis allé dans un bureau spécial pour les gens qui partaient à l'étranger. En une semaine, j'étais à Marseille.



Interview de M. Djelouat, extraits

Réalisé par Juliette Loizeau et Karima Djelouat