Chandre : rencontre avec un auteur de BD

De Wikithionville
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Pouvez-vous nous donner quelques éléments de biographie ?

J'ai grandit à Thionville. Puis j'ai vécu quelques années à Lyon, car j'étais à l'école d'art Emile Cohl. Puis je suis rentré à Thionville. J'ai travaillé pendant un an avec Manolo Prolo pour du dessin de presse au Luxembourg. Suite à une commande, j'ai réalisé trois albums adaptés des romans d'Agatha Christie, et ensuite, des projets plus personnels avec Saint Kilda, et j'ai d'autres projets en cours...


Pourquoi être revenu à Thionville ? Y a-t-il quelque chose dans la région qui influe sur votre travail ?

La première raison, c'est mon épouse. Et puis, je m'y sens bien... Ce que j'aime ici, c'est la lumière assez particulière. Les gens qui ne sont pas d'ici vont penser que c'est gris, que c'est moche, mais c'est une lumière douce, changeante. J'aime les peintres flamands car ils ont travaillé la lumière, et la lumière d'ici m'intéresse. Et puis le rythme de vie d'une petite ville me correspond bien. J'aime beaucoup la Lorraine. Quand j'étais petit, la cheminée de l'U4 d'Uckange fonctionnait encore, les poussières retombaient... Pour les gens qui travaillaient dans la sidérurgie et dans les mines, c'était difficile, très difficile, mais pour notre génération, ça fait partie de ce qui nous a été transmis, du paysage, de l'histoire du coin. On ne l'a pas vécu, mais on est quand même marqués par ça. Ca sera intéressant par exemple de voir, dans 20 ans, le regard des adultes de 30 ans sur le 11 septembre 2001. Les gamins qui ont aujourd'hui 6-7 ans ne l'ont pas vécu, mais ils ont été marqués par l'évènement. Et puis, en ce qui concerne la région, c'est intéressant de vivre dans une région transfrontalière. On sait ce que c'est que les frontières et de ne plus avoir à les franchir comme avant. On doit se sentir peut être plus européens, car on le vit quotidiennement. C'est comme l'euro, dans la région, on en voit vraiment l'utilité. Cela dit, je trouve que le folklore lorrain est fermé. Les générations s'intègrent quand la culture s'intègre. Chacun est de son côté alors que concrètement, dans la vie de tous les jours on est très mélangés.


Il y a plusieurs auteurs de BD dans la région. Avez vous des projets communs ?

Avec Manolo Prolo (Emmanuel Hauter, à la recherche de Manolo Prolo), nous avons pas mal de projets communs. Sinon avec les autres, nous participons à des salons, nous avons parfois des stands communs, on se montre notre travail.


Comment vous est venue l'idée de faire de la BD ?

L'envie est venue par mes lectures, les BD que me passaient mon frangin. J'ai lu ses BD avant d'avoir les miennes. J'ai beaucoup lu Pif Gadget, Picsou, Astérix. Pas trop Tintin, j'aime pas trop Tintin... J'en ai quelques uns, parce qu'il faut bien... Mais on ne parle pas assez de Pif Gadget, alors qu'on a tous le couteau de Rahan chez soi ! Et puis j'ai eu envie de continuer, de dessiner des BD parce que ca me plaisait.


Et vous ? Transmettez-vous à votre tour cette envie ?

Je fais des ateliers de peinture avec des adultes à Cattenom, et des ateliers de BD à Jacques Brel avec des enfants. Au début c'était alimentaire, mais je continue parce que ca me plait. Le but c'est de les ouvrir un peu à l'art, leur transmettre une ouverture d'esprit, une culture, tout ce qu'il peut être intéressant de transmettre. Si, devenus adultes, ils ont un petit souvenir de ça, une sensibilité qui reste, c'est déjà ça de gagné.



    Réalisé en collaboration avec Marie-Cécile Massey à l'atelier des mercredi récré du Centre Culturel Jacques Brel


Est ce que travailler sur l'adaptation des romans d'Agatha Christie, c'était aussi un moyen de transmettre aux plus jeunes, une connaissance de cette romancière ?

Oui, le fait de l'adapter, cette démarche, c'est faire un pont entre le roman et les générations plus jeunes qui s'intéressent moins au roman. D'ailleurs pas mal de profs de français utilisent la BD pour faire un pont. Et puis on garde une image très traditionnelle d'elle alors qu'en fait, elle était...elle suivait son époque. Un des romans que j'ai adaptés se passe dans les années 60. Elle parle des grands ordinateurs, les compare à la mémoire d'Hercule Poirot, elle parle des fêtes de la jeunesse et du LSD... On ne connait pas bien les périodes les plus tardives d'Agatha Christie, on garde en tête les années 20-30...Alors qu'elle a su saisir le changement très rapide qui s'est opéré dans les années 60. On est passés en quelques années à peine des débuts des Beatles aux hippies, Black Sabbath etc. Ce basculement très rapide c'est intéressant. Enfin, pour en revenir à Agatha Christie, faut surtout pas oublier que c'est un auteur populaire, elle fait partie de la culture populaire. Elle est quelque chose de commun aux générations. Pour mes BD de Christie, le public est large, c'est principalement des gens qui aiment Christie, plutôt des femmes, mais des tranches d'âge réellement variées. On achète mes BD, pas parce que c'est Chandre, mais parce que c'est Christie. (Il existe d'ailleurs pas mal de traductions étrangères de mes BD de Christie. C'est marrant de recevoir son travail traduit dans plein de langues, et de voir les couvertures qui sont très différentes, adaptées à la culture du pays.) C'est du roman populaire. Et sur 66 romans, elle a réussi à garder un niveau d'écriture plus que correct.

Sur mes trois Agatha Christie, je me suis bien amusé. Mais après, je voulais passer à des choses plus personnelles.


Est-ce que vous avez des auteurs de BD préférés ?

J'ai toujours du mal à donner des listes, parce que ca serait se fermer à d'autres. Du moment que c'est bon, je lis.


Et comment vous définissez ce qui est bon ?

Je dirais plutôt ce qui a une cohérence... Je veux sentir si l'auteur essaye juste de faire un bouquin de plus ou s'il veut faire quelque chose qui tienne ensemble. Que ca soit réfléchi. C'est difficile, mais quand on fait quelque chose, on transmet quelque chose. On doit se poser la question : est-ce que je fais quelque chose qui a une cohérence ? Quand on est dedans, c'est difficile de se rendre compte de la cohérence. Je montre mon travail en cours à mon épouse, à mes amis, et plus tard à mon éditeur bien sûr, mais ce n'est pas très large. En terme d'esthétique, j'aime bien la peinture. Dans l'art contemporain, il y a beaucoup de bonnes choses, mais aussi beaucoup de mauvaises choses. L'art, ça doit être populaire, on s'adresse à quelqu'un. On ne fait pas les choses pour soi. On peut faire des choses qui vont très loin, mais en s'adressant au grand public. S'il faut une feuille d'explication à côté d'une oeuvre, c'est que c'est loupé. Sinon, j'aime bien l'art nouveau, les pré-raphaélites et la peinture flamande. Au Louvre par exemple, les gens sont très guidés pour aller voir certaines choses, et certaines ailes sont totalement désertes (celle de la peinture flamande par exemple). C'est dommage, car il faut essayer d'ouvrir les gens à des choses différentes. On est le résultat d'une transmission. La culture, ce n'est pas que le fait culturel, elle découle de notre environnement. Les gens vont faire des choses en réaction à leur environnement. Si j'ai la chance d'avoir des enfants, j'essayerai de les ouvrir à ça, de les rendre curieux.



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