André Alexandre, un enfant dans la guerre

De Wikithionville

Monsieur André Alexandre s’installe à Thionville où il est né en 1930, quelques années avant la guerre de 1940. Avec ses parents, il arrive de Villerupt[1] qui représente à l’époque la limite avec le monde francophone. Sa mère gère une petite épicerie au 21 avenue Albert 1er et sa tante une station service de l’autre côté de la route.





la trottinette que son père avait offert à André Alexandre


Son père est fait prisonnier au début de la guerre : quand la déroute est évidente, la ligne Maginot[2] est ouverte et les soldats poussés à fuir. Le père d’André ira jusqu’à Dijon à bicyclette avant d’être rattrapé. Il avait pourtant prévu le pire car dès 1933, le canon tonnait en Europe et il avait acheté une Simca cinq pour fuir la ville le cas échéant. Mais sa femme ne conduit jamais et la voiture sera réquisitionnée par les allemands. Les gens qui avaient évacué Thionville pendant les combats reviennent petit à petit dans une ville allemande déserte et endommagée par les bombardements.

la fameuse Simca cinq devant les ECO

Après le retour des allemands, à l’école, la discipline est renforcée, les maitres ont changé et la seule langue tolérée est l’allemand. André ne comprend rien et se montre rétif à toute assimilation.

Les allemands qui occupaient le pays jusqu’en 1918 sont chez eux à Thionville : certains propriétaires spoliés de leur biens reviennent en ville et se réinstallent.


la station service de sa tante avenue Albert 1er, juste en face de l'épicerie: à l'époque les luxembourgeois viennent jusque là faire le plein, l'essence est moins chère et André se fait de jolis pourboires


A l’épicerie, les privations dues à l’occupation provoquent des mouvements de foule, presque des émeutes. La mère d’André est convoquée à la kommandantur où il lui est reproché à tord de favoriser certains clients : en fait il s’agit de faire pression sur elle pour qu’elle adopte avec son fils, la nationalité allemande : elle est née dans la zone d’influence allemande, à Audun-le-Tiche et son fils à Thionville.

Mais elle refuse. Elle est expulsée avec son fils dans des camions militaires un matin de 1940, d’abord vers Metz où ils sont cantonnés dans le temple protestant puis vers Lyon.














l'école de l'exil où les enfants, dont André à droite , fabriquent des paniers d'osier



André balloté de place en place pendant toutes ces années d'exil fera souvent l’expérience de l’isolement : sa mère fragile sera plusieurs fois hospitalisée à Digne et à Marseille. C’est là que son mari la retrouvera à son retour de captivité, avant de passer voir son fils André qu'il n'a pas vu depuis 1940, à Grenoble où il est en pension au collège Vaucanson depuis les dernières années de guerre. [3]


André revient à Thionville en 1946 et poursuit ses études à la Briquerie. Il est resté six ans absent mais se sent immédiatement chez lui. Son père, enfin libéré mais trop faible pour reprendre son travail de déménageur, aide sa mère qui a retrouvé sa gérance d’épicerie.


Madame Alexandre dans son épicerie



La vie reprend doucement avec les restrictions alimentaires et la pénurie de biens de consommation. Dans le logement qu’ils occupent au dessus de l’épicerie, les Alexandre n’ont pas de meubles et c’est grâce au mobilier réquisitionné chez les habitants qui ont fui vers l’Allemagne à la libération de la ville qu’ils trouvent à se meubler à crédit.

Des pans entiers de l’avenue sont détruits comme les immeubles qui faisaient face à la boulangerie au coin de la rue de Villars et ils sont contents d’avoir un toit.

Le problème de logement va durer jusqu’aux années soixante et à cette époque là, André qui a intégré Sollac après son service militaire, commence à penser à déménager avec ses parents qui sont de plus en plus fatigués. Leur logement est attaché à l’épicerie et s’ils doivent un jour arrêter le commerce il leur faut construire car il n’y a aucun logement à louer en ville.

Ils décident de construire à l’écart du centre, là ou il n’y avait que des champs encore peu de temps auparavant. C’est la villa qu’André habite encore aujourd’hui qui se tient rue de Montluc, aux Basses-Terres.

Les terrains sont rehaussés de plus d’un mètre pour éviter les conséquences des inondations, la Tafeld, le ruisseau qui traversait l’avenue Albert 1er pour aller se jeter dans la Moselle à Manom est enterrée et la maison monte lentement.

Après dix ans passés à l’usine où il s’occupe du contrôle technique, André veut quitter Sollac pour un emploi plus varié où il aura une voiture de fonction : il a réussit le concours d’IBM mais il tombe sur une petite annonce qui va décider de sa carrière. M. Camille Koppe gère un parc de juke-box et de flipper dans les départements de la région et il cherche un technicien : les réparateurs qualifiés sont rares dans le métier.

Les deux hommes s’entendent rapidement. Le courant est passé : ils ont échangé des paroles qui convenaient à l’un et à l’autre, André est sobre et pense bien le rester même en travaillant dans les cafés de la ville et M. Kopp l’entend bien comme ça aussi. Le travail consiste à entretenir le matériel et à faire les tournées d’encaissement dans les établissements de la région.

M. Koppe se retirera dans les années 70 et cèdera l’affaire à ses employés.

M. Alexandre ne se mariera jamais, il garde un vivant souvenir des années de guerre et se souvient qu’enfant il s’est adapté sans mal aux péripéties de l’exil mais il est resté traumatisé par le souvenir des familles séparées par les circonstances et ces adultes qui perdaient la tête de désespoir. A seize ans, il avait déjà décidé qu’il n’aurait pas d’enfant.

La chance a marqué le chemin de M. Alexandre. Il a exercé sa profession honorablement, loin des basses combines et des voyous arrivistes qui ternissaient l’image du métier. Quand il évoque les enfants terribles du quartier il raconte comment il avait fini par les amadouer : il avait acquis une mini-moto Honda et leur laissait la conduire jusqu’au carrefour voisin. La paix est revenue depuis.



un enfant dans la guerre


André Alexandre raconte l'évacuation des français de Thionville pendant la dernière guerre mondiale

et six ans d'exil sur wikithionville[4]

[5]