Robert est né en 1944, juste à la fin de la deuxième guerre mondiale. Son père infirmier à Beauregard, avait été enrôlé de force dans la Wehrmacht. Il venait de faire ses classes en Allemagne et juste avant de partir sur le front russe il avait déserté. Sa femme avait été convoquée à la Feld-gendarmerie et elle avait réussi à les convaincre qu’il était parti avec sa valise et qu’elle ne l’avait pas revu. La ville où il devait se présenter avait été bombardée et la thèse de sa disparition prenait tout son sens. En réalité, avec deux autres camarades, son père se cachait à Adelange le village de son père, parfois dans le clocher parfois ailleurs. Ils étaient nourris par le village. Au moment où les américains libéraient la région, Adelange s’est retrouvé sous les bombardements et c’est dans une cage à lapin en bas, à la cave que Robert avait trouvé refuge.
A l’époque il y avait trois infirmiers à Beauregard et le père de Robert y avait un logement de fonction. Robert et ses deux soeurs étaient « les enfants de l’hôpital » à jouer partout au milieu des ambulances qui arrivaient : Robert se rêvait médecin. A dix ans il entre au petit séminaire de Cuvry, il a un oncle curé et on l’a peut-être choisi pour être l’ecclésiastique de la famille.
Mais Robert ne supporte pas l’arrachement à la famille et pour ses parents, c’est l’école ou bien l’usine.
Robert choisit l’usine et à quatorze ans il entre comme jeune ouvrier à Lorraine Escaut. A dix sept ans il est fondeur et il travaille parfois 56 heures par semaine. Robert ne s’habituera jamais aux trois/huit : sept jours à travailler le matin puis sept jours de l’après midi et sept jours de nuit. Maison, boulot, maison, boulot. En hiver on ne voit pas le jour : on part avant le lever du soleil on revient il fait déjà nuit. Les vieux lui disent « barre-toi de là ».
Robert rencontre Rina, sa future femme. Difficile d’obtenir un logement social quand on est pas marié : il trouve un studio chaussée d’Océanie et à vingt trois ans, Robert se marie. Son beau père travaille à Sollac et il a entendu parler d’un poste qui se libère. A vingt cinq Robert entre à Sollac pour devenir pontier, c’est un peu moins physique. Il y restera jusqu’à sa retraite. Robert va vivre le déclin de la sidérurgie, dans la région de Thionville, les aciéries passent du nombre de trois à une et les ouvriers de 1700 à 500.
Robert milite à la Cfdt depuis qu’il a dix huit ans et il prendra part à tous les grands mouvements revendicatifs des années soixante dix. Quel boulot ! Le travail de délégué, les grèves, les manifs à organiser. Robert n’est pas souvent à la maison et quand il a du temps, il emmène les enfants du quartier randonner dans les environs. Robert prenait ses livres et leur apprenait le nom des arbres rencontrés sur le chemin. Aujourd’hui encore, certains de ces enfants se souviennent avec plaisir de ces parties de campagne à la Croix-Epich, au fort de Guentrange avec sandwich tiré du sac.
Avec le temps, Robert s’éloigne un peu du militantisme, il est las des rivalités entre syndicats et il faut aussi laisser la place aux jeunes.
La famille a déménagé à chaque naissance et habite l’impasse corneille depuis 1974. Dire que quand ils sont arrivés à la côte des roses, il n’y avait pas de chemins que tout était boueux ! On allait chercher le lait à la ferme Schweitzer, là où il y a un supermarché Norma aujourd’hui.
Le travail de fondeur a laissé ses traces. Robert qui souffre d’emphysème a su très tôt qu’il avait bossé dans l’amiante : tous ceux qui ont travaillé dans le secteur chaud ont étés exposés à l’amiante. C’est le scandale du siècle passé car dès 1906 on connaissait les dangers de ce métal utilisé pour protéger de la chaleur alors que même les tables à repasser en étaient recouvertes… Le beau père de la fille de Robert, le voisin âgé seulement de soixante douze ans, ils sont tous partis à cause de l’amiante.
Il y a cinq mois, Robert a passé un scanner des poumons et le médecin a trouvé des plaques pleurales.
Robert participe encore à la Clcv, une des plus importantes associations de consommateurs en France qui s’occupe entre autre des problèmes de relogement liés à l’Anru à la Côte des roses. Il est aussi fidèle à la libre pensée et salue tous les ans le jour anniversaire de la mort de Louis XVI comme la naissance de la république laïque.
article publié dans saisir le changement[1]