Il y a ceux que madame Payotte a connu quand elle était jeune et qui l’appellent Marie-Rose et ceux qui l’appellent Rosette, son vrai prénom. La famille de sa mère était d’origine luxembourgeoise et allemande.
Avant guerre, la mère de Rosette avait épousé un militaire français d’origine Algérienne et l’avait suivi à Alger. Le père de Rosette était adjudant chef, il gardait sa femme et sa fille à l’écart de sa famille qui vivait quelque part dans le bled : Rosette n’a jamais connu ses grands-parents. Avec les années le père a voulu se rapprocher des siens mais sa femme n’a jamais accepté : elle était venue à Alger, elle n’irait pas plus loin. Rosette qui avait à peine quatre ans entend un jour son père évoquer la situation avec un ami dans un café arabe : il annonce que quoiqu’il arrive il gardera sa fille auprès de lui. Rosette jure en arabe et court tout dire à sa mère. Sa mère obtient le divorce, elle est rapatriée d’Algérie en 1946.
Partie avant la deuxième guerre mondiale et rentrant avant les évènements qui conduiront à l’indépendance, Rosette a échappé à deux guerres. Elle arrive à la Côte des roses en 1953 pour loger au château St Anne : c’est un logement provisoire. Il y là trois autres familles, les Christian, les Dalcol et les Fisher. Elle est déjà mariée à monsieur Payotte et aura ses trois premiers enfants au château. En 1957, le six avril elle emménage impasse de la caille : elle y habite encore, au quatrième étage. C’est un trois pièces cuisine mais à l’époque, ils étaient déjà contents. Entrée dans l’immeuble en même temps qu’elle il reste un couple qui habite l’entrée à côté et sa voisine de palier.
Son mari s’est séparé d’elle pour vivre avec quelqu’un d’autre il y a plusieurs années. Elle est restée à la Côte. Pourquoi serait-elle partie ? Ici elle connaît tout le monde, le quartier est bien desservi à cause de l’hôpital et elle est à un quart d’heure de partout.
Bien sûr quand elle était jeune son rêve était de vivre dans une vieille ferme avec six enfants. En fait trois auraient suffi : c’est que ça ne marche pas comme on veut avec les enfants, Rosette qui n’est pas autoritaire devait toujours faire la police entre eux. Elle était parfois débordée.
Enfin elle n’est ni nostalgique ni anxieuse : pourquoi se faire du souci pour une chose qu’on ne peut éviter ? Rosette a assez pour vivre : elle a une petite pension de son mari, une petite retraite et elle est propriétaire de son appartement depuis trente ans maintenant. En entrant en 1957 c’était intéressant car elle n’avait même pas eu besoin d’apport personnel. Rosette ne peut revendre qu’à l’O.P.H mais elle préfère rester propriétaire. Une dame de sa connaissance voulait changer d’étage dans le même immeuble mais l’office n’a pas voulu, elle a vendu et déménagé plus bas mais maintenant elle paye un loyer.
Rosette pèse toujours le pour et le contre, elle est terre à terre comme dit sa petite fille Déborah mais elle veut savoir le pourquoi du comment. Sa retraite par exemple : Rosette avait travaillé quelques mois dans sa jeunesse en gardant des enfants au lycée de Metz où sa mère travaillait à son retour en France. Arrivée à soixante ans elle avait découvert que cela lui donnait droit à une pension de 100 francs (seize euros) et la Crav, l’organisme qui gère les retraites, lui avait proposé alors devant la modicité de la somme, de liquider sa retraite en une fois contre un chèque de dix mille francs.
Rosette avait préféré le versement d’une pension et avec les années et compte tenu du fait qu’elle a élevé quatre enfants, sa mensualité, même petite, reste plus intéressante que le chèque qu’on lui proposait au départ ! « Pas de sous, pas de souci, pas de mari, pas d’ennui…»
Il reste deux ou trois bonnes copines à Rosette et les amis qu’elle s’est fait chez les témoins de Jéhovah qu’elle retrouve régulièrement autour de l’étude de la Bible, salle du Royaume rue de Verdun, juste à la limite entre Thionville et Terville. Quand une de ses amies se fait hospitaliser, elle n’a que la rue à traverser pour lui rendre visite.
Du haut de son quatrième étage, Rosette contemple les collines de Guentrange, ce n’est pas en ville qu’elle verrait ça. Elle a ses chats et une passion pour la généalogie : du côté de son père elle a buté sur l’absence d’état civil en Algérie au siècle dernier. Du côté de son mari, elle cherche vers la Savoie où on trouve souvent le nom Payot. Son hypothèse est qu’il pourrait s’agir d’un mouvement de population du XVIIème siècle entre la Savoie et la Lorraine pour repeupler le pays dévasté par la guerre de trente ans et la famine.
article publié sur saisir le changement[1]
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Thionville dans les années soixante
par la maison de la culture Louis Aragon d'Hagondange |