Christiane est adjoint technique de deuxième classe à l’O.P.H. de Thionville. Ce qui veut dire maintenir propres les entrées et les abords des tours Roland pendant la semaine et boucle de la milliaire un weekend sur deux.
Tout le monde l’appelle Christine, et c’est bien comme ça car Christine est aussi le nom d’une de ses filles. Christiane a eu sept enfants et Christine, trente deux ans aujourd’hui, est celle qui peut s’occuper le plus facilement de sa mère. Elle fait aussi le lien entre elle et ses autres filles, Sylvia et Lydia, trop malades toutes les deux pour se déplacer.
La mère de Christiane avait eu cinq filles et deux garçons, Christiane, elle, a subi le même sort en inversant les proportions. Sa mère en est morte à l’âge de soixante cinq ans.
Cette jeune mariée de vingt ans ne connaissait rien, sa mère ne lui avait rien transmis.
Les quinze ans de son premier mariage, elle les a passé à Ars–Laquenexy dans la campagne de Metz, a donner à manger aux animaux.
La ferme comptait 400 bêtes et cette vie au grand air lui plaisait.
Mais elle a quitté la ferme pour tenter de vivre autre chose.
Christiane loge alors dans un foyer et dans ces conditions il ne lui est plus possible d’élever ses quatre premiers enfants.
Elle ne pourra empêcher que ceux-ci soient placés jusqu’à leur majorité.
Christiane partagera sa vie les douze années suivantes avec un conducteur d’engin qui lui donnera trois enfants. Et là encore la séparation sera difficile, elle passera plus d’un an dans un foyer de femmes seules.
Mais elle n’aime pas l’ambiance des foyers, elle préfère rester seule et trouver du travail. Dans sa famille tout le monde aime travailler.
Elle arrive à Thionville en 2002. Elle travaille d’abord dans les cuisines d’un restaurant du centre ville, seize heures par jour pour cinq mille francs par mois et puis l’Anpe l’envoie à l’O.P.H, l’office pour l’habitat de la ville où elle va pouvoir faire ses preuves.
Aujourd’hui elle s’occupe donc des tours Roland pendant la semaine et un dimanche sur deux boucle de la Milliaire.
Là-bas, elle nettoie les entrées et veille à la propreté des bornes de tri car les gens ne prennent pas le temps de déchirer en morceaux les gros cartons et les laissent s’entasser autour des bornes.
Il y a quatorze bacs poubelles place Roland, à sortir deux fois par semaine et à laver deux fois par semaine pendant l’été.
Mais pas de tri sélectif car les gens ne font pas attention : au début les bacs n’étaient pas ramassés en cas de mélange avec les ordures et à la longue le tri a cessé. Christiane veille aussi à la propreté des paliers de chaque logement, confiée aux habitants à tour de rôle.
Christiane et Agnès sa collègue d'Onet qui s'occupe de l'intérieur des tours
C’est simple, quand elle constate que c’est sale, elle le signale aux intéressés et si rien n’est fait dans les temps,
Christiane nettoie le palier et fait son rapport à l’office qui facturera le nettoyage aux locataires.
C’est pareil pour les gens qui entassent de vieux meubles au pied de l’immeuble si c’est l’office qui vient débarrasser.
Cela ne facilite pas toujours les rapports avec les locataires mais la plupart apprécie ce qu’elle fait et Christiane se sent soutenue par l’office. Elle fait son travail consciencieusement et s’il faut boucher un trou à rat sous les arcades elle le fait. Elle supporte aussi le manque de respect de certains jeunes laissés à eux-mêmes qui squattent une des deux tours sans se soucier de garder les lieux propres.
Son travail est dur et fatigant mais Christiane ne supporterait pas d’être enfermée dans un bureau. Elle travaille seule, elle vit seule et elle apprécie cette autonomie. Elle a perdu le contact avec ses trois derniers enfants, Sophie, Edouard et Hélène que leur père a monté contre elle. Elle n’a plus de nouvelles de son fils ainé, Jean Marie, marin au long cours. Elle sait qu’elle est treize fois grand-mère. De ses six semaines de congés annuels, elle ne s’accorde qu’une semaine ailleurs : elle la passe chez sa fille Christine. Elle est solitaire et têtue.
publié aussi dans Mon Quartier, Ma ville[1]