Jeanne Masson: le prince charmant n'existe pas

De Wikithionville

Jeanne Masson n’a pas envie de voir son nom cité et sa photo publiée. Elle est revenue à Thionville cet automne et ne veut pas que les gens qui l’ont connue avant sachent où elle habite. Elle a besoin de préserver sa toute nouvelle stabilité. Madame Masson a choisi de revenir vivre à Thionville : c’est ici qu’elle est née en 1959 dans une famille de cinq enfants et qu’elle a vécu jusqu’à l’âge de dix huit ans.



Pour Jeanne à cet âge là, la vie à la maison était devenue de plus en plus pénible. Son père était très strict et si sévère avec ses filles que quand elles rentraient par extraordinaire après neuf heures le soir, la limite qu’il avait fixée, il les laissait dormir dehors. Combien de fois ont-elles étés accueillies par la voisine et son mari, un restaurateur algérien ? Comme ça faisait enrager son père.


Aujourd’hui que sa femme est morte, le vieil homme qui a du mal à accepter le décès de sa femme, s’est tourné vers ses enfants et dit qu’il faut oublier le passé. Jeanne n’oublie pas qu’il n’a jamais cherché à savoir ce qu’elle devenait, et qu’elle n’a jamais pu compter sur sa famille pour récupérer ses enfants placés. Elle le lui a dit. Dans les années 70, Jeanne n’avait pas de temps pour elle. La journée en préapprentissage de vendeuse en alimentation chez Codec. Le soir les corvées domestiques qui l’attendaient à la maison, juste avant d’aller dormir.


A dix huit ans, elle va voir une assistante sociale lui explique qu’elle quitte la maison avec rien devant, rien derrière. Jeanne entre dans un foyer pour jeunes filles à Metz. Elle supporte mal la discipline du foyer et quand elle rencontre un garçon qui lui promet monts et merveilles elle le suit sans hésiter.


Ensemble, ils vont vivre dix ans à la rue, dormant à droite à gauche, Jeanne est amoureuse. Avec le temps, elle finit par entendre les conseils de ses amis. Ils ont raison, cet homme est violent, il boit, il a fait de la prison : il ne lui ramène rien. Elle donne naissance à un fils en 1983 et se réfugie à Thionville au foyer Athènes, en attendant un logement à Forbach où elle a choisi de vivre. Elle bénéficie de l’allocation parent isolé.


Le père de son enfant la retrouve et tente par tous les moyens de reprendre la vie commune mais Jeanne s’y oppose et puis ce n’est pas possible avec l’allocation parent isolé. Il casse la porte mais personne ne peut rien pour elle, Jeanne abandonne son appartement et trouve asile au foyer Espoir.



A Forbach elle rencontre un autre homme qui lui offre un toit sur la tête et de quoi manger. Cet homme accepte son fils et va lui donner une fille en 1986. Un jour, inquiète parce qu’il n’y a plus de paye qui rentre à la maison, elle ouvre un courrier adressé à son conjoint : il est renvoyé de son travail pour absence injustifiée. Monsieur passe son temps au bistro. Déception, disputes, Jeanne tombe alors en dépression grave, elle est hospitalisée et ses enfants sont placés.


Retour à Metz, au foyer d’aide aux mères «  les Saules » où Jeanne dispose d’une chambre qu’elle loue 800€. Jeanne souffre déjà de spondylarthrite ankylosante et bénéficie d’une allocation Cotorep de deuxième catégorie. Elle trouve trois heures de ménage par jour. Son état se dégrade, au travail, elle ne peut tenir le rythme, dix bureaux en trois heures, tous les quinze jours elle est en maladie. Jeanne est licenciée et après un période de chômage, elle passe en invalidité totale en 1993.


Entre temps elle rencontre un chauffeur de bus. Cet homme est divorcé avec un enfant de treize ans qu’il reçoit le weekend. Jeanne accepte de le voir de temps en temps pour qu’ils apprennent à se connaître. Ils se marient mais un an plus tard, pour une dispute sans importance, ils se séparent. Jeanne apprend qu’il vivait déjà avec une autre et aujourd’hui encore ne comprend pas pourquoi il l’a épousée. Jeanne rencontre alors celui qui sera le père de sa deuxième fille Annie, elle le fréquente longtemps avant de découvrir qu’il est déjà marié avec trois enfants. Elle est enceinte et refuse à la fois d’avorter et de rester sa maitresse. Jeanne s’est fait piéger encore une fois, elle ne fait plus confiance aux hommes. Le 22 novembre 1994 son divorce est prononcé. Depuis elle vit seule.


Sa fille Annie vient la voir le weekend, elle a maintenant dix huit ans et a accepté une mesure de protection de jeune majeur qui va lui permettre de rester chez sa nourrice jusqu’à vingt et un an. Elle s’est engagée à suivre une formation de coiffeuse, c’est sa première année. Annie a la tête sur les épaules.



Son frère ainé a eu moins de chance. Il a souffert de sa vie en foyer et quand ça n’allait pas il demandait à être admis à Jury ou à Lorquin en placement libre. Le médecin a quand même fini par demander à sa famille de signer une demande de placement par une tierce personne : il a expliqué que c’était le mieux à faire car il s’excitait pour un rien et devenait violent à la moindre contrainte : il avait fini par taper sur les infirmières. C’est Laure, sa sœur qui a signé. Laure a vingt cinq ans et est déjà mère de trois enfants et leur père est au Rsa. Son frère, quand il a fini par apprendre qu’elle avait signé, ne lui en a pas voulu. Depuis, il a été autorisé à sortir et c’est à sa mère qu’il reproche de l’avoir placé quand il était enfant. Ça fait mal.


Son fils n’a pas eu de vie de famille et c’est pour ça qu’il est instable qu’il n’a pas de boulot et qu’il s’emballe si vite mais Jeanne attend de lui qu’il se prenne en charge. Aujourd’hui il vit du Rsa quelque part dans le sud et sa mère craint qu’il n’ait de mauvaises fréquentations.



Et maintenant, alors qu’elle a un peu de stabilité, c’est la maladie qui la rattrape. Elle a été opérée d’un cancer il y a huit mois et il va peut être lui falloir subir bientôt une opération des cervicales. La spondylarthrite l’empêche complètement de travailler, Jeanne reçoit maintenant une allocation d’adulte handicapée et en tout elle a 700€ par mois pour vivre. Son loyer ne lui revient qu’à 101€. Mais ce n’est pas assez pour vivre et elle est obligée de demander des secours. Ça l’embête mais ils comprennent la situation, Jeanne est dans le besoin. Elle va au secours catholique, à la banque alimentaire et « même si c’est comme elle faisait de la mendicité, heureusement qu’il y a encore ça qui nous aide ».



Si c’était à refaire, Jeanne ne se laisserait plus prendre pour une imbécile. Elle n’a plus envie d’être abordée par un homme ni d’avoir une conversation. Pour eux c’est seulement pour s’amuser.

Elle est chez elle, elle fait ce qu’elle veut. Jeanne ne veut plus qu’on la commande, elle est plus mûre et réfléchie et tout ce qu’elle veut c’est profiter au maximum de sa fille.