Je m'appelle Roza.
Je suis arménienne et je vis en France à Thionville.
J'ai toujours aimé le sport. J'ai fait de l'athlétisme pendant 9-10 ans et après le lycée, je suis entrée à la faculté des sports de Gyumri. La deuxième année, j'ai changé de sport, pour le judo. J'avais envie d'avoir de grands résultats, et j'ai réussi grâce à mon travail laborieux. Je me souviens de ma première compétition. Je n'ai pas gagné, mais tous étaient satisfaits de moi. Il fallait que je travaille encore ma technique. Ensuite, j'ai gagné des médailles dans toutes les compétitions que j'ai faites.
J'ai été championne d'Arménie puis d'Union Soviétique. Je suis ceinture noire, maître de judo. Le judo, c'était mon métier. Mais je faisais mes études également, j'ai l'équivalent d'un bac+4 français.
Ma journée commençait à 6h. J'allais courir une heure. Puis je rentrais chez moi, je me douchais, je buvais un thé préparé par ma maman et je partais pour la faculté, les études commençaient à 8h30. L'après midi, je travaillais mon judo pendant deux heures, puis encore deux heures où je travaillais le physique.
En tout, 5 heures par jour, tous les jours sauf le dimanche. Avec la course, je travaillais mon souffle, avec la pratique du judo, j'améliorais ma technique, et avec les exercices physiques, la force. Il fallait le faire. Pour gagner, il faut avoir toutes les qualités. Et il ne fallait jamais manquer, l'école de l'Union Soviétique était sévère. Souvent j'ai eu des blessures, parfois graves. Mais je n'ai jamais été découragée, jamais !
J'avais un journal dans lequel j'écrivais tout. Comme un journal intime mais pour le sport. Tous les jours j'inscrivais mes horaires, les techniques travaillées, mon régime, si j'avais des blessures... Il fallait que je fasse attention à ce que je mangeais, à mon poids.
Dans l'équipe, il y avait des filles et des garçons, mais je préférais travailler avec les garçons. Avec les filles ça manquait de résultats. Mon entraineur de l'époque est aujourd'hui entraineur de l'équipe d'Arménie. C'est un homme intelligent qui connait bien son métier. Si j'ai eu des résultats, c'est grâce à lui.
En 1989, je devais participer à ma première compétition hors union soviétique. Et je savais que je pouvais largement la gagner. Mais juste à ce moment là, il y a eu trois maux qui ont fait que je n'ai jamais pu y aller, ni même reprendre le sport comme athlète professionnelle.
- Le 7 décembre 1988 : le tremblement de terre de la région de Spitak
- La chute de l'Union soviétique
- La guerre avec l'Azerbaïdjan.
C'était impossible de continuer le sport dans ces conditions.
Le tremblement de terre a eu lieu le 7 décembre un peu avant midi. A ce moment là j'étais dehors, en train d'attendre le bus. Je voulais monter, mais beaucoup de gens étaient déjà dans le bus. Et puis j'ai eu l'impression d'avoir des vertiges. Mais tout le monde se bousculait et sortait du bus. Je me demandais ce qui se passait. Après ça, je vis le bus se balancer et les gens criaient : c'est la guerre ! Quelqu'un m'a dit de m'assoir par terre, et j'ai entendu un très grand bruit venant de la terre. Un bruit...énorme, qui a duré environ dix secondes. Devant moi, en même temps, tous les bâtiments chutaient. Dehors, il y avait comme un brouillard, on ne voyait plus rien. C'était la poussière des bâtiments qui s'écroulaient. Les gens allumaient les phares des voitures pour essayer de voir quelque chose. On a alors compris que c'était un tremblement de terre. Tous, tous courraient ! Personne ne marchait. Chacun partait chercher ses amis, ses enfants, ses parents.... On dit que l'aiguille de mesure de la force du tremblement de terre a dépassé le maximum. C'était horrible. Les écoles, les hôpitaux, sont tombés. Les bébés qui venaient de naître sont morts... C'était vraiment terrible. Ça a touché Giumry (Leninakan) et Spitak. On dit que des maisons sont rentrées dans la terre à Spitak. Il n'y avait plus que le toit qui dépassait. Quelques jours avant, alors que c'était le mois de Décembre et que les hivers sont rigoureux chez nous, il a fait très très chaud. Si aujourd'hui il fait chaud en hiver, tout le monde a peur. Les montagnes sont partout en Arménie. C'est un espace pour les tremblements de terre. Aujourd'hui encore la reconstruction n'est pas terminée. Presque rien n'a résisté. Les petites maisons sont restées, mais parfois les familles entières étaient décimées. (Il y a eu entre 55 000 et 200 000 morts).
Toute ma famille était dehors à ce moment là et tout le monde s'en est tiré. Heureusement que ça ne s'est pas passé la nuit, car tous les habitants auraient été sous les décombres. Certains ne savaient pas où chercher leurs amis et leurs familles. Si bien que les pompiers laissaient les corps dans la rue pour que tout le monde puisse les reconnaître. Il y en avait partout.
Les autres pays se sont mobilisés pour nous aider. En France, Charles Aznavour a écrit une chanson avec d'autres artistes pour nous aider : « Pour toi Arménie ». Il a maintenant une statue chez nous.
Si vous souhaitez voir un reportage au lendemain du séisme, suivez ce lien : Source INA
C'est le moment où j'ai arrêté l'entrainement. Et puis avec la chute de l'Union Soviétique, il fallait reconstruire une équipe d'Arménie qui n'existait pas. Avant, le grand comité des sports était à Moscou. L'Union Soviétique fonctionnait comme un seul pays : un seul drapeau, un seul hymne, une seule équipe. Il n'y avait pas les infrastructures en Arménie pour reprendre comme avant.
On a alors créé une petite école en Arménie. Petite mais conçue pour progresser. Et je suis devenue entraineur. J'ai travaillé vingt ans comme entraineur et j'aimais beaucoup ce métier. En 2007 je suis venue en France, à cause des tensions avec l'Azerbaïdjan, qui continuent de tuer des jeunes à la frontière. J'ai fait venir mes enfants en France, car tous les jeunes hommes de 18 ans doivent faire leur service militaire en Arménie et peuvent être envoyés à la frontière avec l'Azerbaïdjan.
Et cela fait depuis 2007 que je suis bénévole au club de judo de Clouange.
L'Arménie me manque parfois, même si je ne pourrais plus vraiment y vivre. Mes enfants font leur vie ici, je ne vais pas les laisser pour retourner loin d'eux.
Internet et Skype apaisent la nostalgie de mon pays car je peux mieux communiquer avec ma famille qui est restée là bas.
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