Michel Loizeau passe son bac en Vendée, à Saint Laurent sur Sèvres en 1948. Dans la foulée, il devient professeur de mathématiques dans son lycée. Son directeur lui avait dit : « c'est idiot d'enseigner les maths en sixième, avec des agrégés qui ne savent pas se mettre à la portée des enfants... ».
Au bout de deux ans, il fait son service militaire, dans l'artillerie anti-aérienne, dans la région de Belfort. Et c'est là qu'il entend parler des usines en construction de la Sollac. Il décide alors de s'installer en Lorraine, et de changer de métier. Embauché en mai 52, il aide au recrutement à la Sollac jusqu'en Octobre. Il fait ensuite l'école de la sidérurgie à Metz, puis il devient chef de poste au dégraissage, dans les laminoirs à froid d'Ebange.
Marié depuis Août 1952, il habite à Guénange, dans la cité construite par la Sollac. Chaque employé était alors logé, et l'usine leur vantait la présence d'une cuisinière dans le logement ! Restait à meubler et à s'installer. Avec sa femme Claudine et leurs deux enfants, ils connaitront cinq logements différents, deux à Guénange et trois à Thionville, qui vont aller s'améliorant, en même temps que sa carrière au sein de la Sollac.
Pour bien comprendre le poste occupé alors, en 1952, arrêtons nous un instant sur le fonctionnement de la Sollac.
Sollac, acronyme de SOciété Lorraine de LAminage Continu. Après la deuxième Guerre Mondiale, les demandes en acier vont augmenter massivement. Si bien qu'en 1948, un groupement de sidérurgistes décide de la création d'une usine commune, capable de produire un million de tonnes par an de tôles minces. Parmi ces sidérurgistes : De Wendel, les aciéries et forges de Rombas, les Hauts fourneaux et aciéries de Longwy, les forges de Basse-Indre.... Ce qui a fait la spécificité de la Sollac, c'est que ces sidérurgistes étaient appelés des « adhérents ». Sollac fonctionnait en coopérative, n'achetant ni ne vendant rien. Les adhérents fournissaient à Sollac les matières premières, transformées en acier plat, jusqu'au fer blanc, et revendaient ensuite eux-mêmes les produits transformés.
La matière première est fondue dans les hauts fourneaux qui produisent de la fonte, affinée ensuite dans les aciéries (coulée en lingots, en brames), puis passe dans les trains de laminage continu à chaud qui produisent de la tôle enroulée, puis dans les usines de laminage à froid, pour amincir encore la tôle, jusqu'au fer blanc. Michel Loizeau, lui, travaille dans l'usine à froid, le laminage nécessitant un enduit de graisse, il faut ensuite nécessairement dégraisser la tôle pour finaliser les produits. C'est donc à ce poste de dégraissage qu'il gère une petite équipe d'une dizaine de personnes. C'est les trois 8. 5h-13h / 13h-21h / 21h-5h. Une semaine, une tranche horaire. C'est un rythme difficile, « pas naturel, la nuit, quand je mangeais, tout avait le même goût, je n'aimais pas travailler la nuit. »
Il occupe ce poste pendant un an. Un des patrons le fait ensuite venir au service de mise en fabrication.
Avec la spécificité de la Sollac, ce service n'est pas un service commercial, mais il gère les arrivées de commandes envoyées par les adhérents, les répartit dans l'usine, et se charge ensuite de leur bon acheminement chez les adhérents, qui s'occuperont de leur vente. Il y a environ 300 personnes dans ce service, sur plus de 10 000 personnes embauchées alors par la Sollac. Le rythme change, ce n'est plus les trois 8 dans ce service, mais les journées continues, qui débutent à 7h30. Le samedi après midi et le dimanche sont de congé. Au début, Michel Loizeau travaille 48h par semaine, puis 40h, et à la fin de sa carrière, 39h. Les semaines de congés payés s'allongent également au fur et à mesure, de deux semaines au début, à quatre semaines. En restant toute sa carrière à la Sollac, il connaît une évolution intéressante, entré comme agent administratif, il termine au « rang et prérogatives d'ingénieur principal ». N'ayant pas fait d'études d'ingénieur, il n'en a donc pas le statut, mais occupe un poste similaire. Il prend sa retraite en 1987, après trois années de pré-retraite.
Arrivé en même temps que les usines de la Sollac, Michel Loizeau a vu l'évolution de la région. Le nouveau visage de Thionville et ses alentours, les constructions de logements neufs, les cités... Il y avait beaucoup de travail dans les années 50, 60 (notamment pour la reconstruction du pays suite à la guerre...) Les gens venaient de différentes régions, comme lui, de Vendée, ou comme son beau père par la suite, vosgien employé à la cokerie jusqu'à sa retraite. C'est le cas aussi des immigrés italiens ou algériens, qui viennent en France, en Lorraine, pour travailler dans la sidérurgie. (voir également les portraits suivants : Luigi Carbonara, de l'Italie à la chaussée d'Océanie.,Françoise Lambolez, l'amitié contre le temps qui passe.,Abdelkader Djelouat, l'invité franco-algérien) Et puis le déclin : « Quand je suis parti à la retraite, c'était florissant, le déclin n'avait pas encore vraiment commencé. La grande erreur, mais c'est mon opinion personnelle, ca a été de vendre à Mittal. Maintenant, c'est lui le patron, il fait ce qu'il veut. Et il a les moyens de faire ce qu'il veut... ».
Nombreux sont ceux qui ont travaillé à la Sollac dans la région de Thionville. Sur ce wiki, plusieurs portraits leurs sont consacrés, avec notamment :