Le tiers de l’immeuble de la rue Racine est tombé. C’est le soir du 25 octobre qu’ont été lancés les travaux de démolition avec l’arrivée tardive et attendue d’une pelle de l’entreprise Xardel et d’un 20 tonnes transportant son équipement spécial.
La pelle s’arrête entre le trois et le un rue Racine, « comme par hasard ça commence par chez nous » dit une jeune fille parmi les gens attroupés derrière les grilles de sécurité. La pelle prépare le chantier en étalant sur les pelouses au pied de l’immeuble une couche de crasse sur un film géotextile destiné à protéger la pelouse existante. Et c’est dans le crépuscule naissant que sont portés les premiers coups à la façade vide de toutes ses fenêtres.
Les habitants et les curieux, maintenus à distance sur les pelouses de la place, mesurent la progression rapide du trou creusé à la lueur des phares de la pelle.
Les jeunes se regroupent le long des grilles, méfiants mais attirés par les cameras qui filment l’événement. Les anciens parlent du temps où les champs entouraient les immeubles, les passants qui ne sont pas du quartier restent, fascinés, les enfants se serrent autour de leur mère. Les téléphones se transforment en appareils photo.
La nuit tombe, l’opération symbolique s’achève et la foule se disperse. Avant de partir, les ouvriers saluent le garde qui va veiller sur le chantier jusqu’à demain.
L’opération était reportée depuis près de deux ans maintenant. Et les habitants n’avaient pas tous à l’esprit l’imminence de la démolition de la moitié de l’immeuble. Certains ont été parfois surpris de l’intensité des vibrations et du bruit de la pelle déchirant les murs. C’est toute l’histoire des gens qui vivaient là qui passe dans le domaine des souvenirs.
Des familles amies se sont un peu éloignées car même s’il s’est fait dans le quartier, le relogement à distendu le lien qui les unissait. Les rites informels et les preuves d’amitié qui pouvaient exister d’un palier à l’autre ne peuvent résister longtemps à l’écart d’une ou plusieurs rues, entre anciens voisins.
Les adolescents qui ont grandi là regardent disparaitre les années de complicité enfantine et le sentiment d’appartenir à une grande famille.
La pelle empile les planchers et les murs tombent comme ceux d’un château de carte, laissant les tapisseries familières au grand jour. Pour certains, vivre ici faisait oublier l’inconfort et l’ancienneté des appartements.
Ce qu’ils ont vécu là, la solidarité et le plaisir de vivre ensemble, les constitue et leur appartient pour toujours, c’est un bagage solide pour passer à l’âge adulte et le modèle d’une vie à renouveler.
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repères et démolition
Tiphanie Morgane et Mélyza parlent après la démolition du 1 et 3 rue Racine publié sur saisir le changement[1] |